19/05/2022
Amende honorable
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je vous parle d’automobilistes verbalisés pour une faute qu’ils n’ont pas encore commise, et pourquoi je soutiens cette drôle de sanction. S’il y a un bien un truc que j’adore, ce sont les gentilés improbables.
Qui sait d’ailleurs si se trouve parmi les habitués de ma chronique du jeudi des Bonnychons, Dulcinéens, Montcuquois ou encore des Pétrocoriens, dans lesquels vous aurez bien entendu reconnu les habitants de Bonny-sur-Loire, Dolo, Montcuq et Périgueux. Quoi qu’il en soit et puisqu’on me fait la gentillesse de me lire en Ile-de-France, je sais pouvoir compter sur les Clodoaldiens, Malakoffiots, Rambolitains, Réginaburgiens et Scéens, dont je laisserai cette fois-ci ceux qui n’en sont pas deviner le lieu de résidence.
Je suis moi-même Carioca d’adoption. Un terme dont la connexion étymologique avec Rio de Janeiro n’apparait pas des plus évidentes et signifiant "maison blanche" dans le dialecte des indiens Tupi, qui faisaient ainsi allusion à l’habitat des premiers colons ayant élu domicile sur l’emplacement de la future "cidade maravilhosa". Du coup, le Chesnaysien que j’étais auparavant n’est pas devenu Chesnaycourtois en 2019, lorsque les villes du Chesnay et de Rocquencourt ont fusionné. Enfin, je vous raconte tout ça, mais ce qui est véritablement important pour cette chronique, c’est que bien que né Tullinois, j’ai été longtemps Fidésien.
On ne peut pas dire de Sainte-Foy-lès-Lyon qu’elle fasse régulièrement l’actualité nationale. Sans compter que la dernière fois que c’est arrivé, c’était à propos d’un membre d’église aux habitudes peu compatibles avec le management d’une compagnie de scouts à la tête de laquelle il sévit pourtant durant de nombreuses années, "publicité" dont la petite commune de 22.000 âmes au sud-ouest de l’agglomération lyonnaise se serait sans doute bien passée. Enfin, l’avant-dernière fois devrais-je plutôt dire, puisque s’y est récemment produit un évènement de la plus haute importance dont je regrette qu’il n’ait pas davantage attiré l’attention de la Presse Quotidienne autre que Régionale.
Sur les instructions de sa première magistrate, plus de 3.000 Procès-Verbaux ont en effet été dressés à l’encontre de ses habitants, et de ceux de communes environnantes ayant eu le malheur de s’y trouver au mauvais moment, en plus d’arborer sur le pare-brise de leur auto une vignette Crit’air 2, 3 ,4 ou 5. Mais avant que vous ne poussiez des cris d’orfraie ou que vous ne vous précipitiez sur les réseaux sociaux pour dénoncer une nouvelle cabale à l’encontre de la gente automobilistique, sachez que j’approuve entièrement cette initiative.
Et le moins surprenant n’est sans doute pas qu’une partie des intéressés aussi. Du moins après que les "verbalisés" en question ont pris connaissance de ce qui leur était reproché à la lecture du papillon verdâtre glissé sous leur essuie-glace préféré. Autrement dit qu’ils avaient enfreint la réglementation mise en place avec la Zone de Faibles Emissions locale, en vertu de laquelle leur véhicule y était interdit de circulation et de stationnement à partir de …2025.
Un scénario à la "Minority Report" dont ils trouvaient néanmoins l’explication au verso du funeste document, sur lequel on pouvait lire : "Ne vous inquiétez pas, cette contravention ZFE n’existe pas encore, mais si elle était mise en place, elle concernerait votre véhicule", phrase suivi d’une invitation à exprimer son opinion au sujet de la ZFE sur le site Internet de la mairie. Evidemment, si Véronique Sarcelli -maire de Sainte-Foy-lès-Lyon- avait voulu choquer ses administrés en les alertant sur ce qui les attendait avec leur voiture, elle ne s’y serait pas prise autrement.
Avant que des esprits chagrins ne me soupçonnent de parti-pris politique, je précise que je me fiche pas mal de celui auprès duquel Madame Sarcelli a obtenu sa carte, même si nul n’est besoin d’être sorti de Sciences Po Lyon pour deviner que celle-ci n’a pas été imprimée chez EELV. Et puisque nous en sommes aux avertissements, sachez que je ne suis habituellement pas non plus adepte des caméras cachées et autres blagounettes jouant sur le ressort de la pétoche. Mais sur ce coup-là, je tire tout de même mon chapeau à l’édile fidésienne pour son initiative.
C’est que je crains que nombre de nos concitoyens motorisés n’aient pas encore pris la pleine mesure de ce qui les attend à la mise en place de ces véritables "Zones de Forte Exclusion". Dans le cas de la métropole lyonnaise nous précise Véronique, ce sont 70% du parc qui risquent à terme de ne plus être circulants, soit très exactement 469.307 véhicules dont certains propriétaires ne se doutent probablement pas qu’ils pourraient se retrouver bientôt à pied, et qui seraient donc bons pour le broyeur (les véhicules, pas leur propriétaire, du moins pour l’instant).
Une prohibition qui constitue ni plus ni moins qu’une sérieuse entrave à la mobilité individuelle, avec de lourdes conséquences pour la vie quotidienne de ceux qui, ne disposant pas d’un revenu suffisant pour remplacer leur véhicule par un modèle neuf, se retrouveront d’autant plus pénalisés qu’ils sont souvent les mêmes à devoir vivre en périphérie et affronter de longues séances journalières de navettage.
Pourtant, les enquêtes ne manquent pas qui confirment le manque de compréhension généralisé de la part d’une majorité de détenteurs d’une voiture quant aux conséquences liées à l’instauration de ce qui constitue de véritables territoires de ségrégation sociale. Enquêtes qui confirment par ailleurs que peu d’entre eux sont disposés ou plus probablement à même de changer leur véhicule pour s’adapter aux nouvelles normes. Mais il est vrai que les enquêtes sont lues par un public restreint, et que ce n’est donc pas la publication de leurs résultats qui est susceptible de faire bouger le plus grand parti de France qui s’ignore, celui des automobilistes.
C’est donc pour cela que je salue l’initiative de Véronique la fidésienne, qui nous a inventé une nouvelle forme d’amende honorable. Non pas celle infamante de l’Ancien Régime qui voyait les pénitents s’agenouiller dans la repentance et que certains élus aimeraient sans doute voir d’ex-conducteurs repentis adopter, mais une amende aux vertus éducatives qu’il n’est -pour l’instant- nul besoin d’honorer.
En revanche et si vous passez par Sainte-Foy-lès-Lyon, n’allez pas en déduire pour autant que vous pourriez vous affranchir de la contribution pécuniaire au stationnement. Sinon, la police municipale fidésienne pourrait bien se rappeler à votre bon souvenir de façon onéreuse, quels que soient vos Crit’air ou gentilé…