09/01/2025
A pied, à cheval et en voiture… ou autres
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui je vous propose différents moyens de transport. Mais c’est vous qui voyez…
Dans son long métrage de 1957 intitulé “à pied, à cheval et en voiture“, Maurice Delbez conte les mésaventures de Léon Martin, piéton impénitent et sans permis, qui décide pourtant de se porter acquéreur d’une automobile alors qu’il s’était juré de ne jamais céder au chant des sirènes mécaniques. Il faut dire que sa fille Mireille en pince pour Paul de Granlieu qui veut l’épouser, et que notre homme se voit mal débarquer à pied à la partie de chasse organisée en Sologne par les futurs beaux-parents en guise de présentation officielle. Convaincu d’avoir mis la main sur l’affaire du siècle avec 777 C 75, une 4CV à bout de souffle trouvée -non point chez Godard- mais au "roi de l’occasion", il se couvrira néanmoins d’opprobre en se pointant en retard à l’évènement après avoir connu les affres de la circulation parisienne et d’une mécanique récalcitrante. Happy End et morale seront néanmoins sauves puisque Mireille et Paul convoleront finalement en justes noces avec la double bénédiction parentale mais à pied, la force des sentiments finissant par prévaloir sur les tentatives de promotion sociale par ostentation motorisée dont Léon reconnaitra publiquement l’échec.
De ce gentil rabioule cinématographique qui connut un succès pour le moins étonnant, on retiendra surtout la seconde apparition de notre Bébel national au grand écran et l’évocation nostalgique du Paris de la fin des années 50, dont la flotte automobile disparate voyait des avant-guerre encore très présentes côtoyer les modèles contemporains. Comme la belle MGA roadster de Paul qui verra sa face avant "gentiment arrangée", pour reprendre l’expression employée par le receveur du bus à plateforme avec lequel elle entre en collision. Pour le reste, les intellos de service souligneront la critique à peine masquée d’une automobilisation déjà très visible dans les rues de la capitale, dans une comédie où la bagnole est essentiellement appréhendée dans ses dimensions sociale et symbolique, mais surtout pas comme un objet de transport. Où l’on constate que les visions moraliste et/ou moralisantes de la mobilité plus que jamais en vogue sur les réseaux sociaux ne datent pas d’aujourd’hui.
J’en ai justement fait il y a peu les frais à propos de Paris-Berlin. Un voyage que je vous ai relaté dans ma chronique du 23 mars 2023 intitulée "Paris-Berlin pas express", alors que je venais de l’effectuer sur et sous la neige au volant de "Karl". Ceux qui me lisent régulièrement auront reconnu mon ex -auto, évidemment- qui devrait côtoyer encore quelque temps sa remplaçante dans le garage, à moins que l’un d’entre vous ne soit précisément en quête d’une Mercedes C200 noire de 2006 dans un état irréprochable (écrire à la rédaction qui transmettra). Mais c’est de train dont il était cette fois-ci question, suite à l’inauguration le 6 décembre dernier d’une ligne à grande vitesse reliant les capitales allemande et française. Un évènement curieusement qualifié de "révolutionnaire" par certains commentateurs visiblement très enthousiastes, mais à propos duquel j’ai eu le malheur d’indiquer qu’il ne me détournerait pas de l’avion.
Que n’avais-je donc point dit ou plutôt écrit ! La manifestation de ce que je ne croyais constituer qu’une simple préférence m’a valu de graves accusations, comme celle de promouvoir activement les désastres climatiques ayant récemment affecté certaine île de l’Océan Indien, ou d’appartenir à la horde de "boomers nombrilistes" émetteurs de gaz réchauffants, qui laisseront une planète dévastée aux futures générations. Sur un ton certes plus lyrique mais pas moins condescendant, on m’a également suggéré de "prendre le temps de vivre" en mettant à profit le temps de trajet pour observer par les grandes baies vitrées du wagon des paysages inaccessibles au travers d’hublots étriqués. Et j’ai aussi eu droit aux recommandations de certains voyageurs digitaux, qui m’ont gentiment rappelé qu’à bord de l’ICE -cousin Germain du TGV- on disposait de l’équivalent d’une journée de travail au tarif syndical allemand, dans un confort très supérieur à celui des "Flying Sausage" exiguës qui composent les flottes des compagnies low-cost.
Mais on m’a surtout expliqué qu’en allant plus vite, je n’arriverai pas à destination plus tôt. La faute aux trajets de liaison avec des aéroports par nature excentrés, dans lesquels il faut encore affronter de longues files d’attente, tant pour déposer ses bagages sur un tapis délateur qui balance illico le moindre kilo excédentaire, qu’au passage de portiques de détection plus sensibles qu’un Haut Potentiel Intellectuel, vous obligeant à laisser la moitié de votre attirail vestimentaire sur le convoyeur à bagages. Alors que le ferroviaire permet de s’installer dans les minutes précédant le départ à bord des wagon faisant escale en centre-ville. Bref, l’avion et le train seraient à la mobilité individuelle ce que sont le lapin et la tortue aux fables de Jean et Saint Eloi -patron des cheminots- ne peut que faire sienne et d’évangile la parole de Saint-Matthieu lorsqu’il affirmait que "les derniers seront les premiers". Avec de tels arguments, j’ai bien failli dire "Amen" et "OuiGo" !
Sauf que 8h10 pour parcourir 1.250 km, ça va doucement fait rigoler le CR450. Et même s’il faut se méfier des effets d’annonce à propos d’un train chinois encore à l’état de prototype dont la vitesse de croisière est annoncée par le patronyme, ce dernier fera sans aucun doute nettement mieux qu’un 153 km/h de moyenne, qu’on peut difficilement qualifier de "grande vitesse". D’autant plus qu’en ajoutant une ou deux heures avant et après (il faut aussi accéder aux gares et en sortir), ça nous met le Paris-Berlin à neuf ou dix heures, contre 6 à 7 heures pour l’avion en ajoutant aux deux heures de vol le même temps d’attente à l’aéroport, et 2 à 3 heures pour rejoindre la gare de départ et s’échapper de celle d’arrivée. Tout compte fait, je crois bien que Bourvil avait raison quand en chantant "A pied, à ch’val et en voiture", il clamait que "l´avion fait sans dout´ le plus sport". Du moins s’agissant de ce parcours-là.
Et c’est pareil en voiture, que ce soit pour Simone ou les autres. D’ailleurs, ceux qui veulent en limiter notre usage ne s’y trompent pas, qui font tout ce qui est en leur pouvoir pour limiter sa progression, à l’instar de sa future ex-mairesse qui a rendu la traversée de Paris presque impossible à l’automobiliste, entre zones d’exclusion et limitations de vitesse ridiculement basses. Et si je forme le vœu qu’en cette nouvelle année, les édiles démentent ce qui s’apparente à une véritable guerre de religion du navettage, en offrant aux automobilistes-victimes une offre de transport en commun renforcée en alternative aux heures d’embouteillage, je crains néanmoins que celui-ci ne reste malheureusement pieu.
Alors entendons-nous bien. Je suis de ceux qui pensent que chacun fait les choix qui lui conviennent, même si vous ne me convaincrez de l’intérêt de passer huit heures à regarder les vaches qui regardent les trains passer, plutôt que de les survoler. Et que nos politiques publiques seraient sans doute bien inspirées d´intégrer les comportements plutôt que de chercher absolument à les contraindre, surtout qu’il paraît peu probable que le temps de trajet cesse de constituer le critère numéro un pour la majorité des voyageurs ayant le choix du mode de transport.
Pour revenir au train, j’ai ainsi fait remarquer à l’un de mes interlocuteurs virtuels qui m’opposait le succès des deux TGV reliant quotidiennement Paris à Barcelone comme preuve irréfutable du remplacement en cours de l’aérien par le ferroviaire et de l’inéluctable succès à venir du Paris-Berlin, que la destination catalane est également desservie chaque jour par 25 liaisons célestes directes. A raison de 500 passagers en moyenne par rame et 150 par aéronef, auxquels on appliquera un taux de remplissage identique d’environ 80%, ça nous fait pas loin de 8 voyageurs sur 10 préférant s’envoyer en l’air que de se faire un rail pour aller voir la Sagrada Família. Et si je laisse volontiers aux experts le soin d’affiner mes calculs, je doute que l’histoire s’en trouve bouleversée.
A moins bien sûr d’envisager le rétablissement d’une espèce de soviétisme au nom d’un écologisme érigé en dogme, la réduction des émissions de toutes sortes dues au transport ne pourra compter sur la seule modification des comportements. Et considérant avec l’IATA (International Air Transport Association) que le trafic aérien sera multiplié par deux à trois suivant les régions du monde à l’horizon 2050, il paraît préférable de tabler sur l’amélioration de la performance énergétique des avions que sur des Paris-Berlin pas vraiment express. Quant à la diminution du nombre de voitures en ville, il serait sans doute temps de l’envisager avec de vraies solutions de substitution plutôt que par la multiplication de mesures punitives à l’égard de ceux qui résident au-delà des périphs…
Quoiqu’il en soit, je vous souhaite à tous une excellente année 2025, que vous alliez à pied, à cheval, en tr…
Je crois que vous m’avez compris.