03/06/2021 - #Volkswagen Vp , #Ferrari
A la baguette !
Par Jean-Philippe Thery
C’est d’une baguette magique dont je vous parle aujourd’hui, du genre croquant en surface et moelleux à l’intérieur. Et de comment s’en servir pour promouvoir la mobilité individuelle décarbonée. Ou pas.
Figurez-vous qu’il a existé une baguette au levain à mon nom.
On la trouvait dans un endroit pour le moins improbable, puisqu’il s’agissait d’une station-service. Et c’est d’ailleurs pour nous informer sur la localisation d’une boulangerie artisanale que ma future épouse (ou devrais-je dire ma mie ?) et moi-même en avons franchi le seuil pour la première fois, sans nous douter que nous étions arrivés à destination. Mais l’agréable odeur qui nous pris par surprise, inhabituelle pour ce genre d’endroit eu tôt fait de nous renseigner. Et l’étal situé à côté de la caisse où les clients venait payer leur plein de "gasolina" me parut d’autant plus engageant qu’on y emballait le pain dans du papier plutôt que dans les habituels sacs en plastique de rigueur au Brésil.
"Bon sang, ça c’est du pain !" me suis-je exclamé à voix haute, avant d’ajouter en brandissant le quignon que je venais d’attaquer à pleines dents : "Regarde la consistance de la croûte, cette mie alvéolée, et le goût… " L’homme qui s’approcha alors de moi en me tendant de la main sauva Renata de la gêne provoquée par ma soudaine exubérance. Il me dit s’appeler Marcos, être le propriétaire des lieux et avoir préparé de ses mains le pain que j’étais en train de déguster.
Mais surtout, Marcos me fit part de l’émotion qui avait été la sienne à entendre un citoyen de France parler avec une telle emphase du fruit de son travail. La conversation qui s’ensuivit me laissa à comprendre que j’avais affaire à un véritable amoureux de la boulangerie, capable de parcourir le monde à la recherche des meilleurs professionnels afin de perfectionner sa technique de la panification. Et je n’allais pas tarder à découvrir que les miches, baguettes et autres fougasses qu’il confectionnait à l’étage du dessus faisaient mentir Voltaire lorsque celui-ci affirmait : "Le pain dans sa patrie vaut encore mieux que les biscuits en pays étranger."
Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir quelques jours plus tard par réseau social interposé, une étiquette portant mon nom, photographiée au milieu de plusieurs pains. C’était la façon pour le moins inattendue qu’avait trouvée Marcos de me remercier de ma visite et de la recommandation que j’avais mise en ligne le concernant. Si je fus évidemment très touché par ce sympathique hommage, je ne pus m’empêcher de penser que c’est l’artiste boulanger qui méritait d’être distingué pour service rendu aux expatriés comme aux cariocas, permettant aux uns -selon l’expression locale- de "tuer la nostalgie", et aux autres de découvrir la vraie saveur du pain. Une consécration -c’est le cas de le dire- qui arriva quelques années plus tard en forme de pain béni, celui accompagnant les repas du Pape en visite à Rio et pour lequel c’est vers Marcos qu’on se tourna. En revanche, je ne crois pas que mon nom soit parvenu jusqu’à sa Sainteté…
Les Français de France qui tiennent pour acquis les 30 millions de baguettes qu’il consomment chaque jour, ne connaissent pas leur chance. Et c’est comme ça depuis le XIXe siècle, quand le pain rustique en forme de boule que l’on consommait en abondance dès le Moyen-Age laissa progressivement place à l’objet croustillant et oblong à l’origine curieusement incertaine. Pour certains l’œuvre des boulangers de la Grande Armée, permettant aux soldats de Napoléon de transporter leur pitance dans les basques de leur veste, la baguette serait pour d’autres originaire de Vienne. Une troisième version la fait remonter aux travaux du métro de Paris, quand on donna aux ouvriers un pain se rompant à la main, afin d’éviter qu’ils n’emmènent dans leur poche le dangereux couteau dont ils se servaient pour trancher les miches, mais aussi parfois saigner l’adversaire au cours d’une rixe.
Je doute que les créas de l’agence de Volkswagen France aient eu en tête ces controverses historiques lorsqu’ils ont imaginé l’opération qui s’est tenue du 23 au 25 mai derniers. Durant trois jours, la filiale du constructeur a offert une deuxième baguette à ceux venus chercher la leur dans une des cent boulangeries participantes réparties sur l’Hexagone, à condition qu’ils s’y soient rendus à pied. L’initiative visait à encourager nos concitoyens à marcher plutôt qu’utiliser leur automobile, comme expliqué sur l’emballage papier protégeant la croustillante badine : "Aller chercher sa baguette à pied plutôt qu’en voiture, c’est bien. Mais ça donne faim. Alors Volkswagen vous en offre une deuxième pour vous dire merci. Et aussi bon appétit."
Y’a pas à dire, ils sont sympas chez Vévé ! Mais pas sûr qu’ils aient contribué à l’estime de soi de ceux qui vont devoir bientôt s’afficher en tenue de bain sur les plages, considérant qu’une baguette standard de 65 cm de long et pesant 250g fait tout de même dans les 700 calories, soit un tiers des besoins quotidiens d’un être humain. Pour la bonne tenue de votre IMC (Indice de Masse Corporelle), je vous déconseille donc d’en faire une habitude, à moins de choisir une boulangerie située à 7 ou 8 km de chez vous, qui vous permettra d’accomplir sur le trajet aller-retour les trois heures et demie de marche nécessaires pour en dépenser l’équivalent énergétique. C’est d’ailleurs probablement l’avertissement délivré par le cinquantenaire bedonnant apparaissant dans l’un des films publicitaires diffusés pour l’occasion, revenant les mains vides de la boulangerie après avoir boulotté une baguette entière en chemin, avec un air de "Flûte, faut que j’y retourne".
Si vous trouvez que je chipote, sachez ce n’est pas forcément une mauvaise idée, puisque ce verbe signifie "manger du bout des dents, sans appétit". Quoiqu’il en soit, ce n’est pas de nos bourrelets dont il est question dans l’argumentaire développé par VW, lequel précise que sa campagne qui a du pain s’inscrit dans cadre de la stratégie "Way to Zero" visant la neutralité carbone de l’ensemble des activités du groupe en 2050. Et si la grandiloquence d’un tel dessein ne vous fait marcher, peut-être serez-vous sensible au discours moralisateur qui ne mange pas de pain, mais n’en fait pas moins dans l’interpellation culpabilisante : "Savez-vous que 49 % des Français habitant à moins de 1km de leur lieu de travail s’y rendent encore en voiture ?" On a raté l’information objective de peu, à l’emploi de l’adverbe "encore" près, qui suggère de façon insidieuse que l’usage de l’automobile relève d’une pratique d’un autre temps.
Pour autant, la statistique est incontestable, puisque portant l’estampille de l’Insee. Mais comme elle m’a paru un peu isolée, je n’ai pu m’empêcher de cliquer sur le lien donnant accès à l’étude dont elle est issue. Ou plutôt l’"exploitation complémentaire" selon le jargon de l’Institut, réalisée sur la base du recensement de la population française de 2017. Je suis donc en mesure de vous indiquer que la proportion de Français résidant à un kilomètre maxi de leur lieu de travail représente 6,3% des 26,8 millions d’"actifs en emploi", ce qui signifie que ceux d’entre eux qui utilisent leur voiture pour s’y rendre ne représentent à peine que 3,1% de cette même population. On a frôlé l’information objective, ratée par la faute de la locution verbale "à peine", visant à diminuer l’importance des 829.600 individus destructeurs d’environnement concernés. Moi aussi, je peux jouer.
Mais pour intéressante qu’elle soit, une étude quantitative possède évidemment ses limites, la statistique se fichant pas mal des individualités et de la vie des personnes concernées. Par exemple, la distance séparant le lieu de résidence de celui où l’on travaille -déterminée dans le cas présent par géolocalisation- ne correspond pas nécessairement à celle des trajets qu’on effectue entre les deux, si l’on doit déposer les bambins à l’école ou chez la nounou le matin, se rendre au supermarché durant la pause déjeuner, ou si l’on a prévu d’aller jouer au badminton à l’AS le soir en sortant du bureau.
Sans compter tout un tas de raisons plus ou moins valables qui peuvent expliquer qu’on utilise un véhicule sur un trajet court, des objets pesants à transporter à la mise en plis qu’on se refuse d’exposer à la pluie, en passant par ceux qui se garant dans la rue en milieu urbain, préfèrent laisser leur voiture sur le parking de l’entreprise aux heures utiles, plutôt que de payer des journées de parcmètre.
Mais j’ai conscience de commettre une grossière erreur en me faisant ainsi l’avocat de ceux que certains aiment à diaboliser. Non pas qu’il me semble judicieux de parcourir de petites distances à bord d’une automobile plutôt que de marcher, mais en raison d’une réalité toute simple, régulièrement bousculée en vertu d’une espèce d’ordre moral chlorophyllé. Et cette vérité, c’est que jusqu’à nouvel ordre, les gens font ce qu’ils veulent dans les limites de la loi, quelques soient les jugements que nous portons sur leur comportement. A moins bien sûr que la loi elle-même ne s’en mêle, et que l’on (qui ?) ne décide qu’une distance minimale à parcourir est requise pour introduire la clef dans le contact.
Si l’idée vous paraît saugrenue, songez à la mise en place progressive des ZFE (Zones à faibles émissions), qui va mettre à pied un certain nombre d’automobilistes parmi les moins fortunés, limitant leur droit fondamental que constitue la liberté d’aller et venir. Ou pour sortir un peu de l’automobile, il y a aussi les propositions énoncées par une "chargée de recherche à la chaire de relations internationales et de développement durable à l’Université de Münster" (sic) lors d’un webinaire organisé par le Bureau européen de développement, consistant à limiter la taille des appartements de 14 à 20 m² pour une personne seule, et de 40 à 80 m² pour une famille de 4 personnes. Rappelons tout de même que ceux qui ont tenté avant la chute d’un certain mur d’ériger ce genre de principe en système de gouvernement, n’ont sauf erreur de ma part pas réussi à construire un monde meilleur.
Du coup, cette histoire de deuxième baguette me paraît beaucoup moins sympathique quand elle s’accompagne du discours de ceux qui veulent nous mener à la baguette. Bien sûr, loin de moi l’idée de soupçonner les marketeurs de VW France de relents totalitaristes, et j’avoue être un peu embêté d’avoir l’air de distribuer ainsi des coups de baguettes sur les doigts. Mais c’est sans doute ce qui se passe quand un constructeur automobile adopte l’étrange idée de nous dissuader d’utiliser ses produits. D’autant plus qu’avec la stratégie qui est la sienne, la marque en question a du pain sur la planche pour convaincre un nombre croissant d’automobilistes de rouler électrique, si elle ne veut pas se retrouver bientôt dans le pétrin. Sans compter qu’elle vaut à mon avis mieux que le cliché éculé du gars qui prend sa voiture pour aller chercher son pain au coin de la rue.
Mais tout cela ne m’enlèvera pas mon humeur badine. La preuve, je vous offre ce petit morceau d’anthologie vidéophonique signé Chris Harris, à voir ou à revoir, attestant que la meilleure voiture pour aller chercher son pain, c’est une Ferrari 512TR et son sublime 12 cylindres à plat (mais en pleine forme).
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Pour le reste, j’espère que mes amis de Volkswagen France ne m’en voudront pas de les avoir taquinés. Je leur propose d’ailleurs de nous retrouver autour d’un petit déjeuner lors de mon prochain passage à Paris, avant que je ne puisse essayer leurs autos électriques.
Et s’ils trouvent que c’est une bonne ID, promis, c’est moi qui apporte les croissants.