09/04/2020 - #Buick , #Jaguar , #Fiat
Vade Retrofit !
Par Jean-Philippe Thery
Puisque nous sommes cloués sur le sofa pour un temps incertain, autant en profiter pour parfaire notre culture cinéphile. En se rappelant néanmoins, qu’il y a loin de la science-fiction à la réalité, surtout en matière automobile.
Si vous n’avez pas encore vu Gattaca, je vous enjoins à réparer immédiatement cette erreur (non sans avoir achevé la lecture de cette chronique, cela va sans dire). Particulièrement si vous ne faites pas partie des 29% d’actifs qui se rendent encore au travail, et que vous passez la journée à tester l’endurance de votre canapé.
Premier long-métrage d’Andrew Niccol (à qui l’on doit également Lord of war), Gattaca se déroule dans un futur proche et inquiétant tel qu’on pouvait l’imaginer en 1997 (2020 par exemple ?).
Une époque où la bio-ingénierie omniprésente permet de mettre au point des individus génétiquement proches de la perfection et par conséquent promis à un avenir brillant, alors que les "invalidés" conçus de façon naturelle et donc imparfaits y sont voués aux tâches subalternes.
Parce qu’il est l’un de ces derniers et qu’il souffre d’une malformation cardiaque, Vincent (Ethan Hawke) se voit donc contraint de recourir à un stratagème sophistiqué afin de poursuivre ses rêves de mission spatiale en tant qu’astronaute. Pour ce faire, il conclut un accord avec Jérôme (Jude Law), ex-nageur professionnel devenu paraplégique suite à une tentative de suicide, qui l’aide à usurper sa propre identité et met au point les stratégies lui permettant de tromper les contrôles de police qui se multiplient après l’assassinat d’un Directeur de mission du centre spatial.
L’une des scènes clé du film voit Vincent risquer sa vie en traversant une voie rapide de nuit, pour rejoindre Irène (Uma Thurman), alors que sans les lentilles de contact de Jérôme dont il a dû se débarrasser peu avant en raison d’un barrage de police, sa myopie l’empêche de distinguer les voitures qui s’y déplacent à grande vitesse.
Et quelles voitures ! Que la plupart d’entre elles n’effectuent qu’une apparition furtive à l’écran n’a pas empêché le responsable du casting mécanique de sélectionner des modèles qui incarnaient une certaine forme de modernité, voire de futurisme lorsqu’ils furent lancés.
L’amateur reconnaitra ainsi une Studebaker Avanti, une Jensen Interceptor ou encore une Buick Riviera, auxquelles ajoutent les nombreuses Rover P6 de forces de l’ordre ubiquistes. Mais dans l’univers lisse et policé de Gattaca, il ne saurait évidemment être question de fumée ni de moteur bruyant, et les automobiles qui s’y meuvent doivent être aussi impeccables que les individus tirés à quatre épingles qui les conduisent.
Le sirènement caractéristique qui accompagne leur mise en mouvement ne laisse donc aucun doute quant à leur motorisation électrique, préservant l’asepsie d’une atmosphère à peine troublée par la lueur verdâtre émanant des phares. Eu égard à l’eugénisme effrayant promu par Gattaca, s’appliquant semble-t-il autant aux individus qu’à leurs machines, dois-je vous avouer l’inquiétante subjugation qui fut la mienne en observant une Irène/Uma impeccable, au volant d’une sublime et silencieuse DS cabriolet ?
Changement de décors, 20 ans plus tard, le 19 mai 2018 précisément. Henry de Sussex ouvre la portière de la E-Type Concept Zero "opalescent silver blue" à sa Meghan, pour l’emmener à la réception organisée à Frogmore House à l’occasion de leur union.
Mais sans la magie d’Hollywood, le crissement du gravier des allées de Windsor Castle sous les pneus de la pauvre Jaguar ablatée de son musical six cylindres en ligne me laisse perplexe.
Quel message cherchait donc à passer Jaguar Land-Rover en amputant l’un des plus grands classiques de l’automobile de l’organe qui contribue autant à l’expérience de conduite que la base roulante sur laquelle repose la XKE ? Etions-nous sensés au travers de cette curieuse opération, oublier les V8 gourmands et compressés équipant pour certains de véritables léviathans de la route, ou au contraire nous rappeler que Jaguar commercialise aussi un SUV électrique ? Sans doute les responsables du groupe n’ont-ils su répondre à cette question, puisque le Département "Classic" du constructeur qui en avait la charge a annoncé qu’il ne poursuivrait pas ses activité de vivisection sur félin motorisé.
Mais rien n’empêche désormais le propriétaire français d’une Type E de se livrer à ce type de manipulation génétique, puisque le gouvernement français vient d’autoriser le "retrofit", autrement dit, le remplacement d’une motorisation thermique essence ou Diesel par un propulseur électrique.
Avant d’imaginer, comme un avocat de mes connaissances, qu’il vous sera possible de balancer 500 ou 600 chevaux d’électrons sous le capot d’une berline XJ (décidément, ces pauvres jaguar semblent inspirer ce genre d’idée), rappelez-vous que nous sommes en France, un pays où le législateur n’est pas exactement du genre à laisser le citoyen lambda concocter son "sleeper" bien à lui dans le garage de son pavillon de banlieue.
Avant de vous lancer dans l’aventure, je vous conseille donc de lire attentivement l’édition du 3 avril du Journal officiel comportant le décret qui liste les nombreuses contraintes à respecter en la matière. La victime doit ainsi être âgée de 5 ans au moins et ne pas prendre d’embonpoint au-delà de 20% de son poids originel, dont la répartition entre les essieux Avant et Arrière ne devra pas être modifiée de plus de 10%. De plus, la puissance du nouveau groupe motopropulseur doit se situer dans une plage de 65 à 100% de celle de l’ancien.
On sait que l’alambiquage des textes de loi est une compétence bien française, mais reconnaissons que ces restrictions ne sont pas dénuées d’un certain bon sens, puisqu’il s’agit de conserver les qualités routières d’origine de l’engin.
Augmenter significativement la puissance et/ou la masse d’un véhicule nécessite en effet la greffe de certains organes dimensionnés en conséquence (notamment freins et suspension) ainsi qu’une sérieuse mise au point qui ne sont pas à la portée du premier venu.
Et si je ne doute pas que l’homme de loi précédemment mentionné ferait les choses dans les règles de l’art, on imagine volontiers les horreurs ambulantes qui ne manqueraient pas de circuler avec un texte plus permissif. Pour autant, on remarquera que le nomothète de service jette un voile pudique sur les possibles conséquences d’une collision frontale avec un véhicule ainsi transformé, et n’ayant évidemment pas subi les affres d’un crash-test. C’est bien la peine que les constructeurs se décarcassent pour décrocher des étoiles Euro Ncap…
Alors ça donne quoi ? Sur une petite citadine des segments A ou B (une Fiat 500 par exemple), il est possible d’installer une batterie de 15kWh, vous garantissant une autonomie d’environ 100 km, et une vitesse de pointe de 110 km/h. Le plein d’électrons vous demandera 3 heures sur chargeur rapide, et 6 heures sur la prise domestique quand vous aurez passé la rallonge par le balcon. Pas de doute, c’est bien de citadine dont il est question. Mais il semblerait que plus de deux tiers des Français effectuent moins de 30 km par jour pour se rendre à leur lieu de travail et en revenir, et que 70% d’entre eux utilisent leur voiture pour ce faire, alors pourquoi pas ?
Ou plutôt, pourquoi ? Pourquoi en effet, faire subir une telle transplantation à une voiture a priori en parfait état de marche ? Les promoteurs du retrofit vous expliqueront que l’opération permet de rouler en voiture électrique pour un moindre coût, puisqu’elle ne vous coûtera "que" 5.000 euros. Le caractère captieux de ce raisonnement me paraît facile à démontrer avec une équation de premier degré telle qu’on apprend à les résoudre en classe de 3e.
Prenez une voiture sirotant 6l/100 km d’une essence à 1,5 euros le litre.
Arrachez son moteur et jetez-le à la poubelle pour le remplacer par un propulseur électrique consommant 10kWh aux 100 km, le kWh étant facturé 0,25 euros au détail. Combien de kilomètres faudra-t-il accomplir pour amortir l’investissement ? La réponse ? En arrondissant à la centaine près, 77.000 km.
Alors bien sûr, il y a l’argument vert. Et c’est vrai qu’en se dépêchant pour accomplir les 77.000 km lui permettant enfin de justifier son achat, l’heureux propriétaire de l’engin aura économisé l’équivalent de 4 vols Aller-Retour en classe économique entre Paris et Rio de Janeiro, lesquels lui coûterait -ça tombe bien – environ 5.000 euros.
Par égard pour l’effort louable qu’il fournit, on évitera peut-être d’informer notre courageux militant qu’il faudrait environ 268.000 voitures rétrofitées comme la sienne pour compenser les émissions de CO2 de l’intégralité des vols entre les deux villes sur un an (en prenant pour référence un Boeing 777 Air France embarquant 468 passagers). Tout ça bien sûr, sans tenir compte des 268.000 mécaniques en état de marche qu’il conviendrait de recycler ou détruire, ni de la logistique pour les transporter…
Vous aurez probablement senti une légère résistance de ma part au concept. Mais si vous ne devez évidement pas compter sur moi pour sacrifier un pauvre voiture thermique innocente sur l’autel de la voiture électrique low-cost, qui suis-je pour empêcher les fervents de jouer les Frankenstein motorisés ?
Eh bien, le contribuable par exemple ? Parce que j’ai en effet oublié de vous signaler un détail. Le tarif de 5.000 euros s’entend "aide de l’état déduite", sans que l’on comprenne très bien le montant de cette dernière, entre 3.000 et 5.000 euros. Quoiqu’il en soit, notre contribution financière est une fois de plus aimablement sollicité pour financer le rétrofit.
Je sais, je vais encore passer pour un râleur. Et pourtant, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’exprimer dans une précédente chronique ("monYakafaucon du jour"), je ne suis pas opposé à l’idée que notre impôt participe au développement de la voiture électrique, à condition que ce soit véritablement efficace.
Je réitère donc que, plutôt que de distribuer des chèques aux acquéreurs de véhicules électriques -qu’ils soient d’usine ou rétrofités- l’Etat et les collectivités locales devraient en équiper les flottes dont l’usage s’y prête particulièrement, lorsque ceux-ci effectuent des trajets récurrents. En rappelant que le développement durable passe aussi par le tri sélectif, y compris des bonnes et des mauvaises idées.
Et ce n’est sûrement pas Uma Thurman qui dirait le contraire.